Le risque que des systèmes de retraite qui fonctionnent soient détruits pour des raisons politiques est-il donc réel ?
Oui. En Lituanie, le parti au pouvoir a remportĂ© les Ă©lections prĂ©cisĂ©ment grâce Ă cette promesse. En promettant au peuple qu'il rĂ©cupĂ©rerait son argent. Les institutions europĂ©ennes et internationales devraient vraiment soutenir fermement leurs États membres pour qu'ils ne dĂ©mantèlent pas ces systèmes. La directive europĂ©enne sur la gouvernance, qui contient des recommandations spĂ©cifiques pour les pays, peut y contribuer. Mais en fin de compte, cela relève de la compĂ©tence de l'État membre. Si le gouvernement lituanien dĂ©cide de dĂ©manteler son système de retraite, personne ne peut lĂ©galement l'en empĂŞcher. Mais dans la zone euro, cela deviendra tĂ´t ou tard un problème pour tout le monde. Nous l'avons vu lors de la crise de l'euro. Peu importe que cela se produise dans un autre pays. Si vous faites partie du mĂŞme système Ă©conomique, cela deviendra aussi votre problème.Â
Comment Ă©valuez-vous le système suisse, qui n'est pas très rĂ©formable ?Â
Le système suisse compte parmi les plus solides au monde, avec celui des Pays-Bas et des pays nordiques. Le fait qu'en Suisse, tant de décisions soient prises par référendum rend certes les réformes plus difficiles à mettre en œuvre. Mais cela rend aussi le système suisse plus stable. Une pension publique nationalisée est impensable en Suisse. Je vois bien sûr le défi que représente le financement avec l'extension du 1er pilier, mais il me semble surmontable. Deuxièmement, la situation financière des caisses de pension est actuellement très bonne. Il n'y a pas de crise de financement en Suisse, ni dans un avenir proche. Je constate également en Europe, comme en Suisse, un débat sur le rôle du 3e pilier, l'épargne privée. Partout, le 3e pilier est encore très modeste par rapport au 2e. Mais les coûts sont également très différents. La partie obligatoire du 2e pilier en Suisse est un élément clé qui contribue à la solidité du système.
Quels sont les autres facteurs de protection ?
Les partenaires sociaux sont les garants de la base du 2e pilier, en Europe comme en Suisse. C'est ce qui fait son succès et cela représente un défi particulier pour les pays où il n'existe pas de bon partenariat social. Aux Pays-Bas, nous assistons à un mouvement passant des « prestations définies » aux « cotisations définies », c'est-à -dire à un transfert du risque vers les assurés. Presque tous les pays d'Europe de l'Est n'ont que des régimes à cotisations définies. Il leur est donc plus difficile d'obtenir de bons résultats et de mettre en place des processus d'épargne. Avec son système obligatoire, la Suisse dispose en outre d'un avantage par rapport à de nombreux pays européens qui ont principalement un système volontaire.
Vous connaissez très bien l'exemple historique des rĂ©formes en Finlande, auxquelles vous avez directement participĂ©. Comment voyez-vous cette rĂ©forme avec le recul ?Â
La Finlande a entamé cette réforme au début des années 1990. Son succès tient essentiellement au fait qu'elle n'a pas été menée au grand jour, mais au sein d'un groupe de travail très stable composé des partenaires sociaux. Les caisses de pension ont ainsi pu apporter directement leur savoir-faire, avec des calculs et des projections. Les premières étapes de la réforme n'ont pratiquement pas fait l'objet de débats publics. En 2005, une réforme encore plus importante a été menée à bien avec la suppression de l'âge de la retraite. La Finlande est passée à un âge de retraite flexible, qui s'adapte automatiquement à l'espérance de vie, avec un mécanisme similaire à celui que connaissent de nombreux autres pays européens. L'espérance de vie de chaque cohorte est suivie et l'âge de la retraite est augmenté en conséquence. Tout cela a rendu le système plus durable.
Que reste-t-il Ă faire ?
La Finlande a mis en place des programmes efficaces pour maintenir les personnes plus longtemps dans le monde du travail. C'est quelque chose qui devrait être fait dans toute l'Europe : permettre aux personnes de rester plus longtemps dans la vie active. La Finlande a relevé l'âge de la retraite, qui était autrefois de 60 ans et qui est actuellement de 62,4 ans en moyenne. C'est remarquable, mais ce n'est pas encore suffisant. Récemment, les partenaires sociaux ont également subi une pression accrue en Finlande pour que des réformes plus approfondies soient mises en œuvre. Surtout en ce qui concerne les risques. Les partenaires sociaux ont accepté de relever les limites des risques d'investissement, bien que celles-ci soient déjà relativement élevées dans le système finlandais.
Voyez-vous d'autres solutions ?
Comme chacun sait, il n'y a que trois possibilités pour améliorer le financement des retraites : augmenter les cotisations, repousser l'âge de la retraite ou réduire les pensions. Les réductions de retraites ne sont à l'ordre du jour d'aucun parti politique, notamment parce que les retraités représentent une part importante de la population finlandaise.
Cela va-t-il déboucher sur un conflit générationnel ?
Oui, si l'espérance de vie continue d'augmenter, il sera plus facile pour ma génération et les retraités plus âgés de réduire les prestations des jeunes générations. Mais en Finlande, la jeune génération ne se rend pas compte de ce danger. Dans d'autres pays, on constate beaucoup plus clairement que les jeunes s'opposent à l'idée de travailler jusqu'à 70 ou 75 ans, alors que les personnes âgées ont pris leur retraite avec de si bonnes prestations.
Comment comparez-vous la solidité d'un système de prévoyance ?
Dans une perspective sociopolitique plus large, la solidarité est un concept clé. En Finlande, le système est bien financé. Si l'on additionne les 1er et 2e piliers, cela représente près de 100 % du produit national brut. Mais tout dépend de la part du « pay-as-you-go ». Plus la part du système de répartition est importante, plus il est facile d'adapter le système pour tous. C'est un avantage du système finlandais en termes de capacité de réforme. Il est plus flexible.
Que pensez-vous des classements des systèmes, comme l'indice Mercer ?
Ils sont intéressants à bien des égards et bien faits. Ces classements donnent une vue d'ensemble. Le classement est moins important que l'analyse des critères évalués. Le fait qu'ils soient utilisés par les médias pour promouvoir leurs propres systèmes de retraite n'est pas un problème. Mais il ne faut jamais prendre ces résultats pour argent comptant. Ce qui importe davantage, c'est le degré d'ancrage d'un système dans la société.
L'obligation rend la Suisse robuste