Santiago Nasar va mourir. Dans le roman de Gabriel Garçia Marquez, tout le village le sait - sauf l'homme lui-même. Tout le monde ne savait pas que le projet de réforme de la LPP allait mourir, c'est-à-dire qu'il allait être rejeté dans les urnes, mais la plupart le savaient déjà lorsqu'il a été adopté par le Parlement en mars 2023.
Les partisans de la réforme se sont efforcés de mettre en avant ses avantages. Mais même eux ne prétendaient pas qu'il s'agissait vraiment d'un bon paquet. Personne n'a défendu le projet avec une véritable flamme, alors que les opposants ont fait preuve de beaucoup plus de verve et, oui, aussi de chiffres et d'affirmations douteuses.
Toutes les réformes de la LPP ne sont pas mortes-nées. Mais toutes naissent gravement malades : l'incompréhension est dans les gènes du 2e pilier. Et lorsqu'un compromis est soumis aux urnes, dont même les spécialistes ne peuvent pas vraiment évaluer les conséquences sur leur propre prévoyance, les opposants ont beau jeu. Les chiffres erronés de l'AVS n'ont pas été décisifs, ils n'ont fait que transformer un non clair en un désastre complet pour les partisans.
Si l'aspect de la lisibilité n'est pas pris en compte, la triste fin dans les urnes est certaine, comme dans le cas actuel. Le projet était surchargé. L'extension des salaires assurés aurait peut-être pu être comprise à elle seule, malgré le prix élevé payé par les entreprises. Mais la baisse supplémentaire du taux de conversion, accompagnée d'un mécanisme de compensation aux effets arbitraires, a d'emblée fait subir au projet le sort de Santiago Nasar.
L'intelligibilité est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles un projet de réforme ne serait pas nécessairement meilleur s'il n'était pas élaboré par les politiques, mais par la branche elle-même : Ce qui est concluant pour les professionnels ne l'est pas forcément pour la population. Des éléments forfaitaires ou des suppléments peuvent ouvrir la voie au succès dans les urnes, même s'ils horripilent les connaisseurs du 2e pilier.
Si, lors de la prochaine tentative de réforme, le bricolage se poursuit aussi allègrement que dans le projet de réforme qui vient d'être enterré, ce ne sont pas 100 ans de solitude qui menacent la LPP, pour citer une autre œuvre de Marquez, mais 100 ans de blocage des réformes. Au moins, les différentes caisses de pension savent s'en sortir. L'adaptation au monde du travail moderne et aux réalités sociales est déjà bien plus avancée dans la plupart des institutions de prévoyance que ne le laisse supposer l'obligation de la LPP. La loi peut rester figée, les caisses de pension vont de l'avant.
La réforme est morte, vive le 2e pilier !
Chronique d'une mort annoncée