La Suisse est l’un des pays les plus prospères et les plus attractifs du monde. Voilà une affirmation plutôt banale qui repose sur un constat peu connoté politiquement. Pourtant, la question est légitime de savoir si la Suisse restera l’un des pays les plus prospères et les plus attractifs au monde. On ne saurait trop s’endormir sur ses lauriers au risque que cette affirmation et, plus pragmatiquement, le niveau de vie ne s’érodent.
Un défi majeur pour l’économie suisse est indubitablement le niveau très élevé des salaires. Il s’agit de préserver les subtiles caractéristiques de haute valeur ajoutée s’appuyant sur des travailleurs très qualifiés et d’un marché du travail flexible caractérisé par le partenariat social. Dans ce contexte, une attention particulière doit être portée sur le niveau des cotisations salariales qui réduisent le pouvoir d’achat, tout en renchérissant la main-d’œuvre.
Toutes les cotisations salariales ne sont pas équivalentes en termes de solidarité. Par exemple, la cotisation d’épargne du 2ème pilier vient alimenter directement l’épargne-vieillesse personnelle et constitue en quelque sorte du salaire différé. A l’inverse, les cotisations AVS sur les salaires dépassant 90720 francs par an servent plus la collectivité que leur contributeur. Ce système de plafonnement des prestations décorrélé du montant illimité des cotisations est un exemple de solidarité helvétique voulue et assumée en faveur de la cohésion sociale.
A l’origine, en 1948, les cotisations AVS s’élevaient à 4%, soit paritairement 2% pour les employeurs et 2% pour les employés. Entre 1969 et 1975, le taux de cotisation a été porté à 8.4% – taux maintenu inchangé jusqu’en 2020 lorsqu’il est passé à 8.7%. Dans une perspective d’équité intergénérationnelle, ce taux doit rester le plus stable possible. Les efforts sont ainsi maintenus constants entre les différentes cohortes d’assurés qui y consacrent une part similaire de leurs revenus.
Regrettablement, les évolutions en cours mettent en péril ces délicats dosages. En plus des divers régimes sociaux cantonaux, telles les prestations complémentaires pour familles ou contributions pour la formation professionnelle, plusieurs objets fédéraux pourraient venir alourdir encore les cotisations salariales. On parle d’allocations de garde dans le régime des allocations familiales, d’extensions démesurées de congés parentaux et de plusieurs projets de refinancement de l’AVS.
Depuis 2021, le parlement attend une réforme pour stabiliser notre principale œuvre sociale jusqu’à l’horizon 2040. Plusieurs pistes ont été formulées pour y intégrer des éléments structurels. Il serait ainsi possible de remplacer la notion d’âge de référence de la retraite par celle de la durée de cotisation. Les années de jeunesse seraient donc constitutives de rentes. Il serait ensuite envisageable d’ajuster progressivement la durée de cotisation pour transformer «l’échelle 44» en «échelle 45» sans prétériter les personnes dont la vie active est déjà très longue et qui aujourd’hui cotisent parfois 47 ans avant de bénéficier des prestations complètes.
Or, le projet baptisé AVS2030 abandonne toute notion de réforme pour se focaliser sur un simple exercice d’augmentation de recettes, et en particulier de hausse des cotisations salariales. Cela devrait faire hurler les représentants des travailleurs, usuellement attentifs à toute attaque contre le pouvoir d’achat ou aux menaces sur l’emploi. Paradoxalement, ce sont les milieux patronaux qui s’inquiètent de cet alourdissement de la charge qui pèse de façon disproportionnée sur la classe active. Les syndicats semblent plus préoccupés par le sort des personnes qui ne travaillent pas, plutôt que par la défense de ceux qui contribuent.
Les employeurs sont convaincus que travailler doit en valoir la peine. Par ailleurs, il n’est pas acceptable d’accroître la pression des charges sur un marché de l’emploi déjà fragilisé par la force du franc suisse au risque de prétériter durablement la compétitivité. Ils s’engagent donc avec force pour la sauvegarde de l’emploi et des salaires, et contre toute augmentation obligatoire des cotisations salariales. Ainsi pourra-t-on maintenir pour de nombreuses années encore notre prospérité et notre attractivité enviées à travers le monde.
Las des augmentations de cotisations salariales